Armes

Texte libre présenté au PIJA (Prix Interrégional Jeunes Auteurs), un concours de nouvelles dans 2 régions de l'Est et 2 cantons en Suisse. Le texte a été présélectionné en 2013, mais n'a pas été retenu aux sélections finales.


Flèche

 

La flèche fuse. Une flèche, à notre époque ? La longue tige de bois, sa pointe en métal et les quelques plumes accrochées au bout me semblent bien plus mortelles que toutes les munitions au monde. Elle fend l’air, sifflante, et annonce la mort face à elle. Elle est plus subtile, plus raffinée, plus discrète. La flèche est parfaite. Equilibrée, parfaitement droite, d’une efficacité redoutable. Elle, elle pourrait venir à bout de vos gilets pare-balles ! Elle, aucun outil ne peut l’arrêter. Seule la chair de sa cible…

 

La flèche fuse. Le temps est arrêté. Un être s’apprête à perdre la vie, il ne lui reste aucun espoir. Il voit peut être sa vie défiler devant ses yeux, ou peut être se risquera-t-il à les fermer. Il sait que tout se terminera dans une fraction de seconde, qu’un éclair le fauchera, pour lui offrir le sommeil éternel. Ses cheveux volent au vent, ce même vent qui porte la flèche. Il saigne déjà, d’ailleurs. Des tirs ratés ? Impossible. En face de lui, l’arc est toujours fièrement tenu à bout de bras, comme célébrant déjà sa victoire. « Ta vie se termine par mon œuvre ! », semble-t-il dire. L’homme qui le tient est bien plus fier, non, il est soulagé. Un poids, une douleur, une crainte l’abandonnent alors que sa cible est sur le point de mourir.

 

La flèche fuse. Quelle histoire a mené à cela ? Il n’est pas question de meurtre de sang froid, loin de là. Il est question de survie, d’amour et de protection.  Il est question de la vie, du cycle éternel du prédateur et de sa proie. Mais cette nuit là, sous la pleine lune éclairant le parc désert, les rôles s’inversent. La proie devient le prédateur, et le tueur va mourir. Autour, tout est calme. Le plan d’eau est inanimé, tout autant que le reste de la zone. Là où, quelques heures auparavant, des dizaines d’enfants riaient et jouaient, désormais, un homme allait redevenir poussière.

 

La flèche fuse. Cette fois, le temps semble regagner le droit de s’écouler. La flèche gagne de la vitesse à nouveau, les feuilles s’envolent, le sang coule.

 

La flèche fuse. A quelques centimètres du visage, elle est prête à frapper.

 

La flèche fuse. Adieu, doux assassin.


 

 

Lame

 

La lame s’abat. De tout temps, son efficacité fut redoutable et redoutée. Le métal, brillant, reflète la clarté de la lune mais aussi et surtout la mort qu’il va provoquer. Silencieux, rapide, il n’y a aucune échappatoire. La lame tranche, toute humanité sur sa trajectoire se voit déchirée.  Le geste est précis, désiré. La main, sur la garde, ne tremble pas. Ici et maintenant, rien ne pourrait sauver l’homme face à l’épée.

 

La lame s’abat. Non pas sur un être agenouillé, de dos, ou affaibli de quelque moyen que ce soit, mais bien sur un homme prêt, qui savait ce qu’il risquait. Lui ne tient plus son arme, il l’a lâchée quand il a compris que ce coup ci serait le dernier. Alors que la gravité appelle une épée à terre, les bras de celui qui va mourir se lèvent, en signe d’acceptation. Il est déjà blessé, évidemment, mais il n’a pas combattu en vain, et il aurait pu être celui qui achèvera l’autre. Le destin, ou plutôt le combat, en a voulu ainsi. En combattant, il est prêt, il ferme les yeux et dit bonjour à la faucheuse, à la lame de son adversaire.

 

La lame s’abat. Comment un pareil duel a-t-il pu éclater ? Comme toujours, lorsqu’un homme prend la vie d’un autre, il y a une raison. Les croyances, les idées, tout les oppose, mais c’est leurs rôles dans leurs communautés qui les ont menés à cette fin. Ils ne sont pourtant que des pions sur l’échiquier, ils ne sont rien pour ceux à qui ils obéissent… Mais comme tous les pions, ils sont sacrifiés. Quel gâchis, après tout, mais il en est ainsi ! L’un est chanceux, l’autre rejoindra peut être les cieux. Quel étrange cadre pour redevenir poussière, après tout, près des balançoires et du petit lac. Encore plus proche, on entend le sifflement d’une flèche…

 

La lame s’abat. Le geste se termine, l’acier tranche la chair, passe à travers les organes. Un corps s’écrase au sol, répandant son fluide vital sur le sol déjà souillé.

 

La lame s’abat. D’un nouveau geste, le tueur fait voler les gouttes de sang qui salissaient son arme, pour achever avec une lame pure.

 

La lame s’abat. Adieu, doux assassin.


 

 

Pluie

 

La pluie tombe. Le ciel se déchire, les nuages pleurent, l’eau fouette le sol. Non, pas que le sol ; de nombreux corps vivent et meurent sous l’averse. On pourrait presque croire que le temps rend hommage aux âmes perdues là, dans le parc, mais il n’en est probablement rien.

 

La pluie tombe. Elle nettoie le sol, affirme sa tristesse. Ils étaient une dizaine. Et maintenant, ils ne sont plus rien, des corps détruits par la vie, par le manque de volonté ou d’âme. Certains ne purent choisir, bien sûr, autre existence que celle que des hommes inhumains leur proposaient, leur imposaient. Mais d’autres auraient pu s’appliquer à sauver des vies ou à faire progresser l’humanité ; il n’en fut rien. Leur fin est arrivée.

 

La pluie tombe. L’étrange arène a élu un unique champion. Des générations guerroyèrent, aujourd’hui le dernier enfant va mettre un terme au conflit qui règne depuis si longtemps. Du moins, celui qui dirige sa vie le lui a dit, cela… A genoux, il offre son visage meurtri au ciel. Il aurait aimé pouvoir changer les choses, échapper à cela, mais il a été éduqué pour ce jour. Il doit en finir, détruire toute trace de l’autre clan. Et après ça… Sa première fois pouvait arriver. Il n’a jamais désobéi, trahi.

 

La pluie tombe. Elle ne peut sauver son âme ; il le sait, l’accepte, et fera tout ce qu’il pourra pour emporter le plus grand mal avec lui.

 

La pluie tombe. Il se relève, il est prêt. Il ne tremble plus, ne hurle plus.

 

La pluie tombe. Renais, doux assassin.


 

 

Soleil

 

Le soleil se lève. La nuit, après tout ce temps à attendre, prend fin. La tempête n’est qu’un souvenir, les nuages ont abandonné les lieux, ne laissant présent que la douce chaleur d’un agréable soleil matinal. Ses rayons sont presque assez radieux pour faire oublier l’horreur, la douleur, la nuit passée ; presque, seulement.

 

Le soleil se lève. Si un enfant était arrivé, il aurait quitté les lieux avant d’être vu, avant que l’odeur du sang n’arrive au nez de l’innocent. Mais il profitait de l’astre qui lui rendait hommage, et saluait sa dernière nuit en ce monde. Il avait fait ce qu’il savait faire de mieux, comme à son habitude, et pourtant c’était sa première fois. Désobéir lui était étranger avant cette nuit fatidique, trahir l’était d’autant plus. Une première, mais aussi et surtout une dernière : il savait qu’il n’en réchapperait pas, ou avait plutôt tout fait pour ne pas s’en sortir.

 

Le soleil se lève. Il se prend à espérer que les choses redeviendront normales, que les autres trouveront un moyen de réaliser leur rêve, tout en gardant en tête son sacrifice. Il va même jusqu’à se demander s’il n’est pas allé suffisamment loin pour rattraper tout le mal qu’il avait fait, mais cette pensée ne sut persister. Il savait qu’il était condamné, et l’avait accepté bien longtemps auparavant. C’était le prix à payer, un prix infime face à celui qu’il avait imposé à tant de monde.

 

Le soleil se lève. Son corps glisse, s’écrase en silence à côté de la balançoire. Après tout, il appréciait la fin qu’il s’était forgé.

 

Le soleil se lève. Sa main relâche, sur son ventre, le papier qu’elle tenait si ardemment. Son bras tombe, mais son sourire perdure.

 

Le soleil se lève. Adieu, repenti.


 

 

Mots

 

Les cris ont laissé la place aux pleurs, les pleurs au vide, le vide à la dérive. Elle s’accroche, pour son souvenir, pour leur projet si ambitieux. Elle savait pourtant qu’elle ne pourrait jamais oublier l’instant où ses craintes étaient devenues réalité, où une voix l’avait déclaré parti à jamais. Elle se souviendrait toujours des mots, pourtant gravés si peu habilement sur le papier abîmé.

 

Même dans l’au-delà, il restait présent chaque jour, à chacun de leurs pas vers le succès. Après tant de temps, beaucoup auraient abandonné, laissé tomber et renié une vie toute entière. Mais pas eux. Modèle, exemple, inspiration, il avait ainsi survécu dans leurs esprits, qui espéraient le retrouver lorsque leurs heures viendraient.

 

Le vieil appartement n’est plus sale et glauque, il abrite plus de vie qu’aucun palais sur cette terre. Ils avaient réussi. Elle était revenue pour lui dire.

 

La tristesse avait  brisé son entrain ; genoux à terre, elle ne quittait le ciel des yeux. Un feu nouveau brûlait, différent de celui qui faisait à nouveau rouler les larmes sur ses joues, différent de celui qui l’avait poussée depuis le drame. Elle avait tenu parole, réalisé la promesse muette qu’elle avait faite à un mort.

 

Elle ne trouva aucun mot aussi bien choisi que ceux qu’il lui avait légués, et n’osa salir cet instant par un murmure inapproprié.

 

Dans le silence, elle fut libérée.

 

Dans le silence, il trouva la paix.