Des écailles

Texte inspiré d'un dessin qui représente un homme vêtu en partie d'écailles et tenant une arme au milieu d'une forêt.


Des écailles. Ce fut par ces écailles que tout commença, et que tout finit. Il n’était qu’un homme, orgueilleux et empli d’avarice, lorsqu’il quitta les siens à la recherche de la bête tant recherchée. Certains la nommaient dragon, d’autres disaient même avoir aperçu un véritable dinosaure dans cette forêt. Mais lui n’en avait que faire, il se moquait des rumeurs et du bouche à oreille. Ce qu’il cherchait plus que de raison, c’était la gloire, la fortune, la reconnaissance. Impressionner les siens, son monde, c’était là sa raison d’être. Ainsi, équipé du métal le plus tranchant, il s’aventura seul dans ce bois, à la recherche du mystérieux reptile. Guidé par le mal si souvent présent chez les hommes, transporté par son objectif malheureux, il parvint à trouver le monstre. Au cœur de l’étendue d’arbres, un petit cours d’eau s’étendait, près duquel se tenait couché la chose. Etait-ce un varan ? Un crocodile ? Un alligator ? Cette question ne lui traversa pas même l’esprit.  Arme en main, il ne prêta aucune attention au reste de la faune, et s’élança fièrement vers sa proie. Plus vif, plus surprenant, il leva son objet de mort, l’abattit…

 

 

 

Mais rien ne perça la carapace verte du souverain de ce lieu. En un regard, il avait comme pétrifié l’homme sur place. La force, la détermination, le courage dans les petits yeux perçants l’empêchaient de se mouvoir. Au fond de lui, il avait l’impression que sa lame s’était retournée contre son propriétaire, que lui-même était blessé, cependant, il n’en était rien. Seul son esprit fut ébranlé, et, pour la première fois dans sa misérable existence, l’homme se distingua des siens, se distingua de lui-même. Pour la première fois, il pensa. Car imaginer la secrétaire du bureau prenant sa douche n’était pas penser, alors que songer à cette vie qui s’opposait à la sienne à égal, et même bien supérieurement, s’en approchait davantage. Ce n’est qu’alors qu’il osa tourner la tête, observant le règne animal autour de lui. La faune et la flore omniprésentes se tournaient vers lui, lui adressaient un regard réprobateur mais accueillant. Lui qui avait pénétré en ce lieu dans l’espoir d’y semer la mort venait d’y naître. Être homme ? Corrompu ? Ne vivre que par la perspective d’un bien matériel illusoire ? Il ne pouvait que se demander comment il avait pu être aveugle. Ses yeux et son esprit n’avaient que menti depuis toujours. Comme un écho à sa pensée, quelques lianes brunes se décrochèrent de l’arbre sous lequel il se tenait, toujours immobile. Quitte à être aveugle, autant l’être réellement. Il sentit son corps se libérer, et en profita pour libérer son âme en accrochant ces végétaux autour de son visage, couvrant ses yeux.  La nature l’avait accueilli.

 

 

 

D’une main sûre, il retirait précautionneusement les écailles du roi de la forêt. Il aurait voulu que les choses soient différentes, mais ses choix avaient été bons et la culpabilité ne lui revenait pas. Hélas, hélas… Tous n’avaient pas compris ce qui lui avait été appris. Et, bien longtemps après son éveil, d’autres lui succédèrent, plus laids encore en leurs cœurs. Nulle leçon ne leur fut enseignée, et ils massacrèrent nombre des compagnons de l’homme. Alors, après avoir fait honneur à tous, il entreprit de terminer son enveloppe naturelle, afin d’être prêt. Prêt à quitter l’abri de ces bois, prêt à montrer à son passé et à ceux qui y avaient vécu que la nature était la plus grande force en ce monde. Comme autant de talismans, il rassembla de l’écorce, du bois, de l’herbe, des cornes, et, finalement, des écailles. Ces mêmes écailles qu’il aurait pu transpercer. Ces mêmes écailles qui lui avait permis de devenir vivant.