Passé sanglant, présent violent, futur absent

Texte libre présenté au PIJA (Prix Interrégional Jeunes Auteurs). Il n'a pas été sélectionné.


 Cinq de novembre.

 

 

 

 

 

A toi, qui as tout permis, je dédie ces mots.

 

 

 

 

 

Paisible était la vie, heureuse était l’union entre elle et moi. Rien n’avait su nous séparer, rien n’avait pu nous éloigner, rien n’aurait su briser notre lien. Amour, bonheur, tous deux sont étroitement liés, et ainsi les deux nous avaient été offerts. Mais ce qui est donné, comme le dit l’adage, peut être retiré. Jamais je n’avais espéré vivre une vie simple et heureuse, l’existence n’est pas conçue pour être vécue simplement. Mais elle n’est pas faite pour être stoppée dans le sang et les larmes. Attaché, retenu, la lame s’enfonça devant mes yeux à travers sa peau, alors que ses yeux embués de larmes se fixèrent sur moi, tremblants, jusqu’à ce que son regard comme son être ne meurent. Elle partit, dans une haine infondée. Elle me quitta, à toujours, à jamais. Jamais… Jamais je n’oublierai ses cris, ni même les miens. Jamais je ne pourrai retirer de ma mémoire les coups qui se mirent alors à pleuvoir sur mon corps fébrile. Toujours, je reverrai ton visage satisfait, empreint de fierté, essuyant le couteau sur sa veste imbibée du liquide vital que tu avais versé. Tu fus le dernier visage que je vis avant de me perdre dans le néant, ce soir là, où mon attachement à la vie disparut. Je ne sais pourquoi, mais vous me laissâtes vivant…

 

 

 

 

 

Vengeance sera faite.


 

 

Treize de novembre.

 

 

 

 

 

A toi, qui as tout permis, je dédie ces mots.

 

 

 

 

 

Mes yeux s’ouvrirent. Brusquement, la vie s’insuffla en moi. Je ne vis rien, rien d’autre que la lumière dirigée vers mes pupilles. Mon esprit ne s’éveilla que plus tard… Les minutes se déroulèrent interminablement, avant que je ne retrouve ma lucidité. Je n’avais pas bougé ; je ne le pouvais. Couché sur une table aussi glacée que ma peau, mes membres étaient maintenus immobiles par des sangles métalliques. Alors seulement, je me souvins… Mon humanité ressurgit en moi. La douleur, la colère, le désespoir, la haine se bousculèrent, mais, plus forte que les autres, une émotion se détacha. Le désir… Le désir de vengeance. Toi, et tes trois camarades, m’aviez tout enlevé. Mais, alors que vous approchiez de mon corps immobile, je n’en avais aucun souvenir. J’avais oublié la vie que vous aviez stoppée, et la mienne que vous aviez brisé. Et pire que cela, vous avez réussi à faire pire. Jamais ne je sus précisément ce que vous m’aviez fait… Mais je sais que tout ce qui se passa dans l’humide pièce où j’étais attaché était inhumain. Aussi bien dans son accomplissement, que le fait de le subir. Jamais je ne sus comment je survécus, mais je le fis. Le feras-tu ? Rien n’est moins sûr.

 

 

 

Deux. Deux de moins, toujours deux en trop…

 

 

 

 

 

Vengeance sera faite.


 

 

Dix huit de novembre.

 

 

 

 

 

A toi, qui as tout permis, je dédie ces mots.

 

 

 

 

 

Hors du temps, hors du monde, vous m’infligeâtes des supplices que je n’aurais pu imaginer. Vous disiez travailler pour le gouvernement, chercheurs en génétique, ayant besoin de moi pour progresser davantage. Combien de temps m’avez-vous retenu ? Encore aujourd’hui, après tant de temps, je ne pourrais le dire. Vous m’avez utilisé, et vous étiez tellement satisfaits ! Ce bonheur me parut si déplacé, alors que de nouveaux outils creusaient plus profondément en moi, alors que je n’avais pas même le droit de vivre. Mais chaque mot, chaque instant est gravé tout aussi profond que ce que vous avez trouvé dans mon corps.

 

 

 

Docteurs détestés, dévastant mon corps dépité, dévalisant le débris que j’étais. Je t’adresse donc la dernière lettre que de moi tu verras… Ce ne fut pas si difficile.

 

 

 

 

 

Vengeance sera faite.


 

 

Vingt cinq de novembre.

 

 

 

 

 

A toi, qui as tout permis, je dédie ces mots.

 

 

 

 

 

Vous n’aviez plus besoin de moi. Quelle évidence était ce, que de m’abandonner à mon misérable sort en plein désert ! J’aurais dû mourir. La vie me quittait, mon corps vacillait, mes yeux se fermaient, mes jambes tremblaient. Un miracle ? Une malédiction ? Je m’accrochai à la vie. Par une force insoupçonnable, et insoupçonnée, je parvins à rester conscient, et vivant. Les jours passèrent, longs, interminables. Ma peau, brûlée, était dans le même état que mon cœur. Dis-moi, l’avais-je mérité ? Avais-je mérité ces semaines, ces mois, ces années de solitude ? Avais-je mérité de perdre ce qui faisait de moi un être humain ? Bien sûr, vous me l’avez répété, le sacrifice d’un peut permettre le salut de tous les autres. D’où votre peur… Votre peur de moi. Vous saviez que je ne devais pas vivre, si vous vouliez le pouvoir. Mais, vous n’avez pas été assez prudents. Me voilà…

 

 

 

 

 

Vengeance sera faite.


 

 

Trente de novembre.

 

 

 

 

 

Cher inspecteur, bonsoir.

 

 

 

Oui, je vous dis bonsoir. Lové dans votre canapé presque aussi vieux que vous, vous lisez cette lettre. Du moins, je devine que vous le faites, comme toutes vos autres lettres. Comme toutes mes autres lettres. Avez-vous réussi à recoller les pièces ? J’espère ! Dans le cas contraire, voici la réponse à vos questions…

 

 

 

Le cinq novembre dernier, le corps d’un ancien chercheur a été retrouvé, sans vie. La scène du crime était parfaite, aucune trace apparente. Seul détail original, une lettre jonchait le corps du défunt. Ce fut ma première lettre, et le premier de mes actes. Je présume que, pour vous, cela était un travail professionnel qui risquait de mal tourner. Et en effet, quelques jours plus tard, la même scène se reproduit. La même scène de crime, dans un lieu différent, et avec un chercheur différent. A cet instant, vous avez probablement tenté d’établir le lien entre les deux victimes… Mais tout ce qui aurait pu vous donner la moindre information a été détruit. Les archives furent jugées trop importantes pour être conservées. Elles disparurent, tout comme moi. Vous savez, inspecteur, je suis un fantôme. Je suis mort, je n’ai jamais vécu. Du moins, si vous vous en référez aux registres officiels… Mais nous savons tout deux que je suis de ce monde, tout comme vous, tout comme ils l’étaient avant de commettre ce que j’ai jugé comme les pires atrocités. Ils étaient quatre, le soir où tout a commencé. Ils étaient quatre, pendant tout le temps où je fus captif. Ils sont encore quatre, unis dans la mort. Unis dans une mort que j’ai moi-même invoqué pour eux.

 

 

 

J’espère que vous avez apprécié ces quelques explications brouillonnes. Je vous souhaite une bonne nuit, et bien du plaisir dans vos futures affaires. N’oubliez jamais que les victimes sont parfois les seuls coupables, et que chacun de vos actes agira à coup sûr sur votre avenir. Ils ont voulu l’ignorer, et l’ont payé. Rassurez vous, ils n’ont pas souffert autant qu’elle, ni autant que moi, quand bien même je doute de la possibilité de la chose.

 

 

 

 

 

Vengeance est faite.

 

Votre dévoué vengeur,

 

B.