Ekko

Texte inspiré par le personnage Ekko de League of Legends, non sponsorisé.


La dernière vis, le dernier écrou, le dernier coup de clé.
Combien de temps cela faisait-il ? Ah, le temps, ce fameux temps tant convoité ! Tant qu'il nous en reste, on se contente du peu de temps à notre disposition, mais nous passons nos vies à nous contempler, et dans une tentation permanente qui nous happe telle les tentacules d'un tendre ennemi nous enterrant. Nous sommes sourds, n'entendant pas les chances et ne voyant que les tensions qui nous séparent alors que nous pourrions nous tendre la main, nous détendre et tenter de vivre. Car cette vie, ce temps limité, c'est sans retour possible pour nous. Quand c'est terminé, pas de pirouette, pas de seconde chance ; c'est la mort qui nous attend. Elle arrive et nous cueille tous quand bon lui semble…
Attendez, attendez ! J'ai dit nous ? Pardonnez-moi, je voulais dire vous. Du moins, si ce… truc fonctionne ! T'en fais pas, j'arrive. Tout va changer. Réglons ça sur le maximum, débranchons le câble chargeur. Ça y est, les préparatifs sont terminés. Je suis pas sûr que ça soit normal, toute cette vapeur, mais je n'aurai peut-être pas d'autre chance, avec tous ces gorilles à mes trousses. Respire bien idiot, c'est parti !
Ce fut à ce moment que je connus une de mes plus grandes déceptions et un de mes plus amers regrets. Tout d'abord, l'intégralité de l'atelier de fortune avait été soufflé et tout le matériel se trouvait désormais éparpillé un peu partout – mais finalement cela était bien le moins décevant. Non, le pire était tout autre : l'horloge n'affichait que deux secondes de moins qu'au lancement. Merde ! Pourquoi ?! J'avais suivi toutes les consignes, toute la logique, utilisé les matériaux adéquats ! Alors pourquoi j'étais toujours bloqué ici ?! Non, non, non… NON ! Ca n’avait aucun sens ! Putain ! Respire, respire, respire. Reprends ton souffle, reprends ta respiration. Deux secondes hein ? Pour une première, t’aurais pu faire pire. Lâche rien. C’est deux secondes aujourd’hui, ça en sera le double la prochaine. Tu dois tenir bon et reprendre, pour lui. Ramasser les outils, reprendre les plans, et tout améliorer. Autant viser la perfection, et rien de moins.
« Au secours ! »
Le cri était aigu, mais pas l’aigu d’une voix de femme. C’était celle d’un enfant, désespéré, qui n’avait aucun autre choix que d’appeler à l’aide. Pour en arriver là à cet endroit, il devait vraiment être menacé de mort. Je pris le temps de peser ma décision : faire un trente cinquième essai après les dernières modifications, ou être humain. Choix rapide et sans appel ; j’étais déjà debout, en train de me préparer aussi vite que possible. Cette version risquait d’être instable, mais en cas de besoin il était préférable de l’avoir sur soi. Accrochée dans le bas de mon dos avec une ceinture reliée directement au gant me faisant office de manche, j’espérais ne pas avoir à me servir de mon invention. La boucle de l’épée à vibration tournant dans mes doigts, je m’élançai dans la rue hors de ma cache de fortune. L’appel venait de tout près, et je connaissais les lieux par cœur : je savais exactement où trouver le malheureux. Me faufilant sous des caisses, entre des murs et sur quelques toits, j’avais atteint mon objectif en moins d’une minute, soit juste à temps : la frêle silhouette de l’enfant se trouvait éclipsée par l’ombre d’un homme immense, aussi haut que large, frappant doucement le mur adjacent avec une masse en riant comme un chasseur qui a acculé sa proie. Pourquoi j’étais là déjà ?
D’un bond, j’initiai la lutte : depuis les tuiles au-dessus de mon tout nouveau protégé, je m’écrasai sur le dos de son agresseur en abattant ma fidèle arme à l’arrière de son crâne. Le bruit métallique et l’absence de réaction en face confirmèrent le pire : ce n’était pas un simple géant, mais un géant amélioré. Et la main aussi grande que mon buste qui me saisit l’instant suivant n’avait pas une force naturelle, pensai-je une demi-seconde avant de perdre quelques dents sur ces briques bien plus solides que mes os. J’avais lâché l’épée, et mes côtes m’avaient lâché. Ça se présentait super bien ! Je parvins à murmurer au gamin de s’enfuir, mais la peur le pétrifiait et le monstre bouchait la ruelle entière. Son rire morbide me glaça quand je compris que, cette fois, sa cible n’était plus un autre mais bien moi. La gravité fit son œuvre et je me retrouvai à quatre pattes face au colosse qui, petit pas après petit pas, s’approchait inéluctablement. Rapide recherche des options éventuelles : me relever, ramasser mon arme et le surprendre ? Impossible dans mon état. M’enfuir en laissant le petit à sa merci ? Hors de question, et tout aussi impossible que le combat. Non, franchement, plus que ça ? Il n’était plus qu’à deux mètres de moi et se tenait immobile, me fixant. Il ne remuait plus son énorme marteau qui pendant au bout de ses doigts comme l’horloge de ma fin. Aucune chance que ça marche, tu vas juste te pulvériser. Dans ton état, tu risques vraiment de pas tenir le choc. Son bras se leva, et il ne riait plus. Tant pis, t’as pu le choix ! Rassemblant mes forces, j’eus tout juste le temps d’atteindre mon poignet droit et de tourner le mécanisme. La mort approcha, ralentit, et… S’arrêta. Incapable de bouger, je constatai que tout s’était stoppé autour ; le cri du gamin était devenu muet, le mouvement du bestiau se trouvait bloqué, et, malgré ma volonté, je ne pus esquisser le moindre geste. Lentement d’abord, le membre de celui qui tentait de m’envoyer dans l’autre monde remonta, en même temps que le mien reprenait sa place de quelques secondes plus tôt. Plus rapidement alors, les images défilèrent devant mes yeux qui n’arrivèrent pas à suivre la vitesse de ce qui se passait, et je sentis quelque chose changer en moi. Pendant ce qui me parut être une éternité, je fus incapable de bouger, d’entendre ou de dire quoi que ce soit, de tout simplement percevoir le moindre élément autour de moi. La fin des temps arriva, et alors je retrouvai mon corps et mes sens. Debout dans la ruelle, le géant à terre et le gamin à moitié sous lui. Merde !
« T’en fais pas petit, je vais te sortir de là. Prends ma main, et à trois, tire !
- D’a… D’accord.
- Un, deux, trois !! »
Ensemble, nous tirâmes de toutes nos forces pour le dégager de là, mais en plus de l’air meurtri sur son visage, s’ajouta un nouveau hurlement, cette fois-ci de douleur. Il était sorti, mais c’était pas beau à voir : sa jambe gauche était brisée, et le reste de son corps semblait ne plus être que douleur et lourdeur.
« Merci, sans toi je serais mort.
- Dans ton état, t’en es pas si loin. T’as quelque part où aller ?
- Oui, y a un refuge pas très loin. Tu peux m’aider à y retourner ?
- Je compte pas te laisser là. Accroche toi comme tu peux, je vais te porter sur mon dos. »
J’avais imaginé un instant réutiliser l’appareil et retourner encore dans le passé pour éviter de projeter la bête sur lui, mais un coup d’œil éclair dans mon dos confirma ma crainte : c’était impossible pour l’instant, et le temps que le rechargement se termine, des jours risquaient de s’être passés. Cependant, l’expérience avait été plus concluante que je ne l’avais espéré ! Mieux que de résister au choc, mon corps avait même en partie récupéré de ses blessures, comme s’il avait un petit peu retrouvé son état d’origine en même temps qu’il retrouvait la position passée. Aux traces sur les murs et à la force avec laquelle le truand avait été projeté, je pouvais déduire que le rayon de l’explosion temporelle était relativement restreint – bonne chose, pour éviter de tout démolir. Comme quoi, la trente-cinquième était la bonne !
Depuis le temps, j’avais cru qu’il aurait lâché l’affaire, mais bon dieu qu’il était têtu celui-là ! Arriver comme ça dans ma tanière, dans ce havre de paix où j’avais compris que, devant l’impossibilité de la chose, il valait mieux l’honorer qu’essayer de le sauver, et ce avec un tout nouvel exosquelette, quel toupet ! Son coup m’avait surpris, mais j’avais grandi et je m’étais endurci. Cette fois, un seul contact ne suffirait pas. Surtout avec la petite surprise que j’avais pour lui. Il allait comprendre. Un tuyau, une roulade, une articulation, une esquive, une nouvelle roulade, et quelques vis. Fin. Ou presque.
Les gens gâchent beaucoup de temps. Puis, ils en souhaitent davantage. Ils veulent plus d’heures dans leurs journées. Plus de journées dans leurs années. Plus d’années dans leurs vies. Car s’ils avaient tout ce temps supplémentaire, ils pourraient réparer n’importe quelle erreur. Je n’ai pas besoin d’heures, ou de jours, ou d’années… J’ai juste besoin de secondes. Une petite chose à propos du temps : si tu ne peux pas tirer le meilleur de chaque moment donné, alors tu ne mérites pas une seule seconde supplémentaire.